« Ils ne m’écoutent pas »… « Ils ne me respectent pas »… « Je n’ai pas d’autorité… » Combien de fois a-t-on entendu ces plaintes de la part d’
animateurs débutants ? Pourtant, cela est souvent moins grave qu’il n’y paraît. Et ce n’est en aucun cas rédhibitoire. Avis d’un directeur de colo.
La fable de Sophie-la-récalcitrante et de la petite anim perdue
Un jour en colo, une jeune animatrice vient me voir, les larmes aux yeux. « Sophie ne m’écoute pas, je n’ai aucune autorité sur elle ! »
Ah… Il se trouve que la dite-Sophie est une jeune fille de 15 ans, la plus âgée du groupe. Pas méchante du tout, mais facilement forte tête à ses heures. Elle dépasse d’une bonne tête la petite animatrice qui, elle, va sur ses 18 ans, et qui effectue son stage pratique. Bon…
Je passe lâchement sur le fait que j’ai ma propre responsabilité dans l’affaire : recruter une animatrice jeune et débutante pour un groupe de pré-ados n’était pas l’idée du siècle. Je fais asseoir la petite anim et je lui tiens (à peu près) ce langage :
- Bon, Sophie ne t’a pas écoutée quand tu lui as demandé de ranger sa chambre. Mais s’est-elle mise en danger pour autant ?
(d’une toute petite voix) – Non…
- C’est déjà un bon point. Ton manque d’autorité n’a pas conduit à une situation grave. Et ce matin, quand tu as accompagné les jeunes à la reprise d’équitation, est-ce qu’ils ont respecté tes consignes ?
(toujours d’une toute petite voix) – Oui…
- Et tout à l’heure, quand tu leur as demandé de se laver les mains, ils ne l’ont pas fait ?
(idem, idem…) – Si…
- Bon. Donc, tu vois que tu n’as pas un problème d’autorité en général. Tu as un problème d’autorité dans une situation précise, avec la fille la plus âgée du groupe, qui s’est amusée à te tenir tête devant ses copines.
Arrêtons-là l’histoire. Elle montre bien selon moi que les jeunes anims se focalisent souvent sur leurs manques en matière d’autorité. Bien sûr, cela se produit très souvent dans des cas complexes : enfant turbulent, groupe agité ou compliqué à gérer… A l’inverse, les anims débutants se rendent très peu compte des moments où leur autorité n’a pas fait défaut. Parce que cela leur semble naturel que les enfants aient obéi. Et parce que, trop souvent, ils associent l’autorité avec le fait de prendre le dessus.
L’autorité au service du « bien-vivre ensemble »
Or avoir de l’autorité, ce n’est pas essayer d’être supérieur au groupe d’enfants pour s’en faire obéir. C’est plutôt mettre un cadre qui permet au groupe de bien vivre. La nuance est importante. Elle permet surtout de relativiser des échecs passagers… Si une jeune fille refuse temporairement de ranger sa chambre, le cadre de la vie commune ne vole pas en éclats pour autant.
Maintenant, comment établit-on cette fameuse autorité vis-à-vis des jeunes ? Eh bien ça dépend… Certains disposent d’une autorité naturelle. Sacrés veinards n’est-ce pas ? Il suffit qu’ils arrivent dans une pièce pour que chacun fasse silence, qu’ils circulent dans un couloir pour que l’on se mette en rang… Mais pour le commun des mortels, cela ne se passe pas comme ça : l’autorité se construit. Ce sont les autres qui nous la donnent.
Construire son autorité auprès des jeunes
Restons sur cette idée que l’autorité nous est confiée par autrui… mais qu’est-ce ce qui va bien pouvoir pousser cet autrui à nous confier cette autorité, c’est-à-dire concrètement à accepter d’écouter et d’obéir ? Eh bien ce sont des choses pas si compliquées que ça.
1- La présence, l’attention, la bienveillance
C’est une condition sine qua non : on sera respecté des jeunes si on sait les écouter. Cela signifie être proche d’eux (mais trop proche, on y reviendra…), jouer avec eux, s’intéresser à eux, à leurs préoccupations, à leurs problèmes. Si c’est le cas, alors les jeunes reconnaissent en vous un interlocuteur, voire quelqu’un à qui se confier. C’est un premier pas vers l’acquisition de l’autorité.
De plus, cette démarche permet de repérer les groupes dans le groupes, les meneurs, les suiveurs, les fortes têtes (et les casse-pieds potentiels… car oui, il y en a)… et donc de mieux comprendre une situation en cas de débordement. « Y’a Thomas qui m’a tapé ! » « Oui, tu as raison, ce n’est pas normal, mais toi, cela fait trois fois que tu lui dis des méchancetés… »
Ceci dit, une trop grande proximité sabordera tous vos efforts. Difficile de redevenir l’anim quand on a pris une place de bon copain… Dans son ouvrage Graine de Crapule, le pédagogue Fernand Deligny utilise la métaphore de l’échelle : il faut descendre suffisamment bas vers le groupe pour l’entendre et le comprendre… mais pas trop bas quand même, de manière à remonter pour juger une situation avec une vue d’ensemble. A vous de voir à quel barreau vous arrêter…
2- Se servir de l’autorité pour le bien-être du groupe
C’est le deuxième point fondamental. Si vous vous servez de votre autorité pour votre confort ou vos fixations personnelles, vous ne la conserverez pas longtemps. Les règles que vous fixez doivent servir le bien-être des enfants et du groupe. Par exemple, si Tom et Mathieu jouent au foot un peu plus loin que les autres, demandez-vous avant d’intervenir pourquoi vous intervenez.
A- Tom et Mathieu font bêtise sur bêtise. Le terrain est caillouteux et dangereux. Il y a un risque réel à ce qu’ils soient hors de vue, et vous êtes capables de leur expliquer pourquoi ils doivent jouer plus près. Alors intervenez.
B- Tom et Mathieu sont des petits anges. Jamais un mot plus haut que l’autre. Le terrain est sans danger. Vous tenez juste à avoir tous les enfants sous vos yeux parce que ça vous facilite les choses pour les appeler au moment du goûter. Alors n’intervenez pas !
Des règles fixées pour le bien commun ont plus de chance d’être respectées que des règles arbitraires. Dans le cas de Sophie-la-récalcitrante, l’anim’ aurait sans doute eu plus de chance de se faire obéir en expliquant -sans s’énerver- pourquoi la chambre doit être rangée. Et justement, en parlant d’explication…
3- Expliquer pourquoi on fait les choses
… Il ne suffit pas que la règle soit faite pour le bien du groupe. Il faut aussi l’expliquer aux jeunes. Sans cela, ça reste aussi obscur qu’une règle arbitraire. « Sophie, tu dois ranger ta chambre car tu n’es pas la seule à y dormir. Si tu laisses tout traîner, vous risquez toutes de perdre des affaires qu’on ne retrouvera pas le dernier jour. »
Et ce qui ne peut pas être expliqué ? Eh bien, cela signifie souvent que la règle n’est pas vraiment faite pour le bien commun. Par exemple, étant complètement incapable d’expliquer pourquoi on doit enlever sa casquette à table (oui, il doit y avoir une vague raison de bienséance historique, mais on est en colo bon sang, pas à un fichu repas de famille…), j’assume de ne pas l’interdire.
Ceci dit, même pour ce qui relève des règles les plus basiques, attendez-vous à expliquer, expliquer, et expliquer encore. Comme le dit si bien mon père, instituteur de son état, « La pédagogie, c’est l’art de la répétition »… A ce propos, dites-vous que certains jeunes vous prendront plus de temps que d’autres en matière d’autorité. A 80% du groupe, il faudra peut-être expliquer la règle une seule fois. Aux 20% restant, en revanche, ce sera entre 10 et 100 fois par jour. Acceptez le fait qu’une minorité d’enfants vous prendra une majorité de votre temps : à coup sûr, vous vivrez mieux…
4- Se servir de ses compétences
Ben oué, on sait tous faire des choses, et les transmettre, c’est chouette. Les jeunes voient qu’on y prend plaisir et ils se prennent plus facilement au jeu. C’est autant de gagné pour l’acquisition de l’autorité. Vous êtes un super guitariste ? Jouer-leur de la gratte ! Vous animez trôôôô bien le loup-garou ? Lancez-vous et théâtralisez le truc à mort ! Vous êtes fan de bourrée auvergnate ? … bon, ce n’est peut-être pas le bon exemple. Mais bref, vous avez compris l’idée.
Ca devrait d’ailleurs vous inciter à aller sur des colos dont le thème vous plaît. Si vous n’avez strictement rien à cirer des sports d’eau, évitez le séjour « Les rois de la glisse : surf et planche à voile ». Vous allez vous emmerder. Conséquence de quoi : vous allez aussi emmerder les jeunes.
Evidemment, parfois, tout ça ne suffit pas. Il faut aussi savoir hausser un peu le ton quand c’est nécessaire. Oui, mais comment ?
Rappeler à l’ordre ? Oui, mais pas n’importe comment…
OK, c’est acté, il faut intervenir fermement. Mais comment ?
1- Toujours être prêt à rappeler à l’ordre
Règle numéro un : ne vous dites jamais que c’est gagné. Sans être sur le qui-vive permanent, gardez votre posture d’animateur (c’est-à-dire une posture d’adulte et pas de copain). Cela permet de signaler aux jeunes toutes les petites choses qui ne vont pas, et de ne pas en venir aux rappels plus sérieux. Un « Dis donc miss, ton plateau, tu ne le débarrasses pas ? » vaut bien mieux qu’un « Ca fait dix fois que je te demande de ne pas tout laisser en vrac ! »
<span style=“font-size: 16px;”>2- Ne pas crier…<span>
Ben non. Parce qu’en fait, c’est rarement le bon plan… et je dis cela en toute connaissance de cause, pour avoir cédé plusieurs fois à la tentation. Crier, c’est juste un coup à ne plus avoir de voix, et surtout à ne plus savoir faire autrement. On n’a pas idée à quel point on jette son autorité par les fenêtres quand on hurle…
Faites autrement. Trouvez des trucs et des astuces. Après tout, vous êtes anim’, et c’est un peu votre taf, non ? Le groupe est bruyant. On se tait et on lève la main en attendant le silence. Les enfants se lèvent sans ranger leur plateau ? On se lève calmement, on se place devant la porte par laquelle ils comptaient sortir et on leur dit tranquillement que, non, ça ne se passe pas comme ça.
Si vous aimez l’humour (et c’est vivement recommandé en col), usez-en, abusez-en. « Félicitation mesdemoiselles ! Vous venez de gagner la médaille d’or du concours de la chambre la plus mal rangée ! Vos voisines n’ont obtenu que la médaille d’argent : il restait quelques vêtements dans leur armoire… » Certes, on peut trouver mieux. Mais là encore, vous avez saisi l’idée.
3- Se servir du groupe
Eh oui, parfois ça marche. Mais cela suppose de connaître suffisamment bien le groupe et de savoir que des jeunes iront dans votre sens. « Qui peut expliquer à Camille pourquoi on ne court pas dans les couloirs ? » « Eh ben sinon, on peut tomber et se faire mal… » « Merci Paul ». Le rappel vient d’un « pair » et non d’un adulte : la règle est d’autant plus légitime aux yeux des jeunes
… OK. Mais si malgré tout ça, ça devient plus méchant ?
En cas de conflit…
Parfois, en dépit de vos efforts, ça dégénère. Vous vous êtes déjà retrouvé avec une baston d’enfants sur les bras ? Ou avec un conflit ouvert entre deux jeunes ? Deux ou trois petits trucs pour conserver son autorité dans ce cas-là.
1- Séparer les
belligérants du groupe
Bien souvent, devant le groupe, le fautif (ou les fautifs) ne cède pas face à l’animateur. Question de fierté. Il est important de le (les) séparer du groupe. D’abord pour préserver le groupe lui-même (une bagarre ou tout autre événement grave peut être vécue de manière traumatisante). Ensuite pour pouvoir prendre le (les) responsables entre quatre yeux en privé, ce qui est toujours plus efficace.
Notez aussi qu’il peut être bon d’attendre un peu avant de passer aux explications. Même les plus grosses colères finissent par se dégonfler. Il m’est arrivé (et il est arrivé à plusieurs collègues directeurs) de suivre pendant un (long) moment des jeunes sous le coup de la colère qui ne voulaient plus faire autre chose que tourner en rond dans le parc du centre. Prenez votre mal en patience si cela vous arrive. Ça finit toujours par passer.
2- Eviter les menaces
Bien sûr, c’est tentant. Mais les jeunes entêtés s’aperçoivent vite que, passés les mots, il n’y a pas grand chose que l’on puisse faire. Privé d’activité ! OK, mais s’il recommence ? Privé de veillée ! OK, mais s’il recommence encore ? Privé de… quoi ? Vous n’allez pas le couvrir de chaînes… si ? (auquel cas, changez vite de métier).
Alors : discutez, discutez, discutez. Faites-lui comprendre pourquoi cela ne peut pas se passer comme ça. Car in fine, et sauf à recourir au renvoi, le dialogue et la volonté d’arriver à une solution sont vos seules armes. Un collègue et néanmoins ami comparait les enfants « difficiles » à des châteaux forts médiévaux et usait de cet adage : « Il n’y a aucun château imprenable. Il n’y a que des châteaux mal attaqués. » Traduction : si ça « bloque », essayez avec d’autres mots, ou passez la main à un collègue qui essayera à son tour.
A ce sujet, d’ailleurs, mettez-y de la bonne volonté, mais ne vous tuez pas à la tâche. Quand ça veut pas, ça veut pas… Vous n’êtes pas seul(e) : les autres membres de l’équipe sont (théoriquement) là pour vous aider et prendre le relais (sinon, prenez votre mal en patience, vous allez passer un très mauvais séjour).
En désespoir de cause, et avec l’accord de l’équipe, adapter la règle reste une possibilité si c’est dans le cadre d’un « contrat ». OK, tu vas au lit une demi-heure plus tard. Mais à condition que tu passes cette demi-heure à lire ou à faire une activité calme.
3- Adapter et expliquer sa sanction
Chacun a son jugement sur ce qui est juste ou pas. Mais dans l’idéal, la sanction répare l’acte commis. On casse quelque chose ? On le répare. On insulte quelqu’un ? Ce sera une lettre d’excuses. Évidemment, ce n’est pas toujours aussi simple. A vous d’être créatif.
De même, la sanction est toujours expliquée. Confronté un jour à un souci assez grave en colonie de vacances, j’ai privé deux enfants d’une sortie en ville. Une bonne chose ? Je me garderais bien d’être définitif sur le sujet. Mais quoiqu’il en soit, cette a été expliquée aux jeunes. Je ne me suis pas contenté d’un « Vous êtes punis, un point, c’est tout. » Je leur ai dis : « Vous ne sortez pas en ville, car en l’état actuel des choses, je ne sais pas si je peux vous faire confiance. Vous êtes susceptibles de vous mettre en danger ou de mettre les autres en danger. Donc, vous restez au centre. Montrez-moi que vous pouvez être dignes de confiance et vous sortirez de nouveau ».