La peur est une des six émotions primaires dont nous faisons l'expérience depuis notre naissance. A Vitacolo nous accordons une grande place à l'accompagnement émotionel dans nos séjours et nos formations, qu'en est il dans la société dans laquelle nous vivons ?
Elle est présente quotidiennement. Elle s’exprime avec des dosages divers et variés passant du trac derrière le rideau avant de monter sur scène en colos et ailleurs, au regard des parents sur un bulletin scolaire, à l’angoisse d’un COVID qui pourrait emporter nos proches et structure notre quotidien et notre vision des relations avec les autres…Difficile de s’en passer mais est-il indispensable de lui laisser une place aussi forte dans notre approche éducative ?
1ère réflexion : Les parents se laissent-ils guider par leurs peurs pour décider de ce qu’ils veulent pour leurs enfants ?
Cette question n’est pas récente certes, Maria Montessori en parle souvent dans son approche empirique de la petite enfance. Mais son regard est plus porté sur l’aspect chronophage et sacrificiel du parent éducateur, qui choisira le plus souvent ce qui est mieux pour lui plutôt que pour son enfant : lit à barreaux, couches jetables, massification des jouets, parc pour enfants sont les exemples les plus parlants.Cette démarche est aussi liée à cette peur de l’accident. Cette peur parentale si présente lors de la petite enfance, qui trouve des arguments face à la fragilité et au manque d’autonomie et de discernement que nous imaginons d’eux. Cette peur de ne pas être à la hauteur en tant que parent, conditionne une multitude de nos comportements avec nos touts petits.Et cela ne va pas en s’arrangeant. Combien d’entre vous ont-ils entendu leurs parents avoir « peur pour leur avenir » s’ils ont des mauvaises notes à l’école ? Cette peur de l’échec scolaire, sociale, d’insertion dans le monde des grands. Cette peur de ne pas avoir offert un espace sécurisant pour ces enfants devenus adultes, au prix de choisir un boulot plutôt qu’une passion (qui pourrait devenir boulot mais trop de risques, « abandonne la guitare et trouve-toi un travail » comme disait M. Lepage fut un autre temps). Bref, cette peur dirige beaucoup notre approche de transmission éducative, parce que c’est une émotion et que comme le dit Boris Cyrulnik : une émotion sert à deux choses, la communication et la survie. L’éducation par la peur serait donc un mécanisme de survie transgénérationnelle. Il est donc important de lui laisser une place (car sinon elle prendra place sans contrôle) tout en essayant de l’équilibrer avec d’autres émotions actrices de l’éducation. En rationalisant la peur et en acceptant une part de risque dans nos vies non (c’est excitant !) ?
2ème réflexion : A force d’être éduqué par la peur de l’échec, on finit par avoir peur de l’autre. Et quand cela est accentué par une structuration urbaine sans mixité sociale, la peur ne devient-elle pas l’ennemi public N°1 ?
La peur est de fait un point commun à toutes les mixités : la peur d’échouer, la peur de ne pas mieux réussir que la génération passée, la peur de ne pas s’intégrer, la peur de l’autre ? Dans la gestion émotionnelle, on dit souvent à Vitacolo qu’il y a les « trop pleins » et les « inhibés ». Cela peut se traduire autrement dans notre réflexion :
Pour les personnes issues de milieux où l’expérience de l’échec est tellement loin dans les souvenirs, elles construiront des systèmes anti-échecs, quitte à laisser ceux qui pourraient nous rejoindre le plus loin de nous. Le reportage d’Arte « les bonnes conditions » est assez parlant pour comprendre comment il est possible de cloisonner des systèmes : « mon père me disait que notre rôle en tant que bourgeois était de continuer à amasser de l’argent » pour les mettre en sécurité. Ces « inhibés » de la peur de l’échec craignent du coup l’idée d’avoir presque peur de la peur de l’échec… un peu perché non ? Mais lorsque cette idée d’une possible chute sociale est mis en avant, la peur devient alors très perceptible.
Pour les personnes issues des milieux où la peur est une « amie » du quotidien, de par la difficulté d’insertion, l’insécurité du quartier… ces « trop pleins » sont presque des paralysies sociales exubérantes, à tel point que sortir de cette condition en allant même vers un autre milieu social est presque trop dangereux. « Je suis bien dans mon quartier, ici je sais comment ça marche et je sais comment me débrouiller au besoin » ai-je encore entendu hier par la bouche d’un jeune ne voulant pas sortir du quartier pour chercher un boulot.
La crise sanitaire amplifie encore plus ce schéma de peur de l’autre. Avec une politique urbaine ne facilitant pas la rencontre des mixités, nous nous retrouvons de moins en moins à croiser d’autres vies. Ce qui finira par nous éloigner les uns des autres si nous ne décidons pas de combattre ces phénomènes.Cette peur installée dans notre approche éducative, a de fait structuré nos visions de modèles de sociétés : protection des frontières, surarmement…. Et la crise climatique nous amène aujourd’hui à devoir traiter de la peur de la fin de notre civilisation de consommation à outrance.
La peur ne doit pas nous guider, elle doit nous pousser au risque évalué et à la rencontre
Mais fort de cela et des limites des modèles de penser par la peur, nous pouvons aussi prendre le choix d’expérimenter par d’autres émotions l’éducation de nos pairs. En favorisant la rencontre, la compréhension de l’autre quel qu’il soit, l’empathie sociale, nous conduirons probablement des possibles changements d’approches de nos civilisations. La peur nous amène souvent à des approches binaires des solutions : comment se protéger, comment se sécuriser. En acceptant une part de risque dans nos vies, nous refusons que la peur guide nos pensées et construit en nous des dogmes sans avenir. Il y a urgence à vivre des expériences profondes de joies, de bonheur collectif et partagé, pour espérer construire un monde plus beau pour nous et les générations futures. C’est aussi pour cela que nous nous battons à Vitacolo pour que les départs en colonies de vacances soient maintenus.