En pleine pandémie de COVID-19, les sociétés s’organisent pour répondre à l’urgence. À mesure que le confinement s’allonge, des questions surgissent : Combien de temps va durer cette crise sanitaire ? Quelles seront les conséquences sur l’économie ? Quelles leçons tirer sur nos modes de vie pour le futur ? Nous regardons les informations, nous observons, sans comprendre toujours… Des questions plus troublantes encore s’invitent dans nos esprits : L’État peut-il nous enfermer pour nous protéger ? Les médecins déterminent-ils ce qui est bon pour nous ? Car enfin, admettons ceci : si nous refusons qu’un état technologique et policier nous contrôle éternellement, alors il est urgent de donner aux citoyens le moyen de se responsabiliser. Seule une éducation populaire peut nous sortir de cette impasse autoritaire.
LA PÉDAGOGIE
Pour réponse à la crise sanitaire, les Etats emploient les modes de gestion qu’ils maîtrisent, et laissent transparaître les fondements éducatifs sur lesquels ils ont construit leur pédagogie :
En Allemagne, en Suisse ou en Scandinavie, où l’école est réputée plus ouverte et démocratique, les gouvernements n’ont pas besoin de mettre en place un système de répression des citoyens. Le sens civique allemand fait œuvre dans l’organisation face à l’épidémie, entraîné depuis des années dans un milieu où l’on valorise la coopération, l’entraide, la responsabilité individuelle et collective. Nos voisins d’Outre-Rhin ont déjà exprimé leur sens du devoir sur le terrain, lorsque la chancelière Angela Merkel a fait déployer un large dispositif d’accueil des réfugiés venus d’Afrique du Nord. Pendant ce temps, la France rechigne à attribuer son pavillon maritime à l’Aquarius, alors qu’il fait respecter le Code de la Mer en portant secours aux citoyens nord-africains qui trouvent naufrage au cours de traversées désespérées de la Méditerranée.
En Chine ou en Corée du Sud, c’est la technologie qui dicte les conduites. Entre un suivi analytique qui permet le traitement de la maladie en temps réel, et le tracking définitivement intégré dans la vie intime de l’individu, où se situe la frontière ? Inutile de revenir sur les nombreuses et troublantes ressemblances entre ces nouvelles mœurs numériques et les récits dystopiques exposés à travers la série « Black Mirror ».
La France, férue de notes, d’examens, de diplômes, de critères d’évaluation et de normes de gestion, préfère appliquer son modèle de bureaucratie aux exigences de la crise sanitaire : cochez les bonnes cases et présentez vos papiers lors des contrôles de police. Ne discutez pas. Ne parlez pas. Obéissez. Cette pédagogie descendante, « vieille France » patriarcale, commandée par papa Macron et mise en œuvre par des hommes en uniforme, nous ferait presque penser à la France du maréchal. Face au virus, nous nous hâtons de mettre la République en Marche – euh, je veux dire, à faire Front National – oups ! je veux dire, à organiser un Rassemblement National – re-oups ! Décidément, on finirait par croire que l’imaginaire de la solidarité a changé de camp…
Si la France était un séjour de vacances, le directeur pédagogique serait un ancien trader, et les animateurs seraient des flics rigolos. Ambiance dans la colo « Je vis mon confinement » !
Mais enfin, pour gérer cette crise inédite, n’est-il pas normal de faire montre d’autorité ?
L’AUTORITÉ
L’auteur est celui qui élève une œuvre, qui l’anime et la rend vivante par un travail patient, jusqu’à ce qu’elle devienne autonome. Ainsi des auteurs de romans qui ont autorité littéraire, car ils font vivre des récits à force de lettres, de mots, de phrases et de chapitres, jusqu’à ce qu’il ne reste d’eux qu’une bio en première page et leur nom sur la couverture. Ainsi des soignants dans les hôpitaux qui ont autorité médicale, car ils guérissent leurs patients au quotidien jusqu’à ce que ceux-ci recouvrent leur pleine santé.
Mais qui, pour faire autorité face au chaos social ?
Et oui, le corona a bouleversé tout le système. Ce virus s’est imposé comme une révélation, ennemi invisible infiltré dans les failles béantes de ce monde. Il nous met en danger. À nous de changer. N’est-ce pas cela, s’adapter ? Rester vivants, élever nos âmes, par un travail patient. Pour y parvenir, nous suivons un processus de création qui consiste à « comprendre, inventer et gouverner » – pour reprendre le triptyque de la philosophe Cynthia Fleury.
- Comprendre le coronavirus, récolter et traiter l’information. La recherche le permet.- Inventer des solutions, imaginer, tisser des liens entre les idées. La culture le permet.- Gouverner la crise, discuter, choisir, assumer et organiser. La démocratie le permet.
À l’inverse, quel serait le pire tryptique d’un État face à la crise du virus ?- Confiner, apeurer les esprits pour utiliser la stratégie de choc. La manipulation le peut.- Reproduire, endetter les citoyens pour relancer la croissance. Le capitalisme le peut.- Imposer, dicter les conduites, surveiller, menacer, sanctionner. La répression le peut.
Ce serait là une bien étrange autorité.
Car enfin : éduquer c’est parler, mais aussi écouter, comprendre et accompagner. Pourquoi les citoyens ne tiendraient-ils pas volontairement leurs distances, sur recommandation du corps médical ? Ont-ils compris les enjeux de la crise sanitaire et les démarches à suivre ? Disposent-ils d’un confort égal pour rester ainsi confinés durant des semaines sans se sentir enfermés, isolés ? Et pourquoi diable refuseraient-ils de participer à l’effort, si tant est qu’ils ont été responsabilisés plutôt que d’être infantilisés… Dans le cas contraire, si l’État ne parvient pas à se faire entendre par de simples préconisations, c’est peut-être qu’il paie pour les années passées à laisser ou faire s’accroître les inégalités et la colère des citoyens. Crise de la confiance, perte d’autorité naturelle…
Démuni, on sortirait donc la poigne de fer de la police, qui ferait ce qu’elle fait le mieux : contrôler et sanctionner. Peu importe si vous avez, en bonne intelligence, veillé à garder vos distances pour ne causer aucun tort. L’amende est de 135€, car vous étiez à plus d’un kilomètre, à plus d’une heure de votre domicile, car votre papier est daté de la veille. Chiffres, critères, contrôle, machine, gestion, bureaucratie.
À défaut de savoir éduquer…
Pourtant, d’autres le peuvent : les animateurs de rue, les éducateurs de quartier, les travailleurs sociaux. Toutes ces personnes, représentantes du « soin », dont les métiers sont déconsidérés, alors qu’elles savent entretenir des relations humaines profondes plutôt que de produire des dépendances matérielles futiles. Les mêmes qui manifestent depuis 2008, qui sont en bout de course. Les humains qui font le pari de l’humain, en somme. Comme l’a déclaré le romancier Alain Damasio :« La police n’a pas à être le bras armé d’une incompétence sanitaire massive. »Oui, mais… L’éducation populaire est une vision naïve, les gens feraient n’importe quoi s’ils n’étaient pas contrôlés ! diriez-vous. Dirions-nous, en fait. Car oui, « Les gens », c’est nous. Nous tous, nous dedans. Il n’y a pas les bons confinés et les méchants qui sortent, les gentils zoulis et les vilains pabôs. Il y a nous, groupe social « Humanité », unis pour le meilleur et pour le pire, sur le vaisseau spatial Terre, etc etc.
« Nous », donc, ne savons pas comment réagir à cette pandémie mondiale. Certains sont mieux informés, mais cela nous dépasse tous, et il nous est difficile d’en prendre vraiment la mesure.
Ainsi, pour gérer cette crise inédite, n’est-il pas justifié d’user d’un peu de force ?
^^^^^^^^^^^LA FORCELe contrôle appelle la fuiteLa violence appelle la violenceLes amendes appellent la fraudeLa répression appelle la vengeanceToute chose appelle l’énergie dont elle est porteuse.Il nous faut un axe qui soit à la fois méthode et résultat.I!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!La confiance appelle le pardonL’éducation appelle l’éveilL’écoute appelle la paroleCe n’est pas à la force de l’État d’imposer son pouvoirMais plutôt à la force des choses d’imposer sa véritéCe virus est une tragédie toute emplie de violenceNous n’avons pas besoin de plus pour admettreQu’il est l’heure de changer le systèmeEt de prendre soin de nous autresNous, associations d’éducation populaire et travailleurs sociaux, sommes prêts à rejoindre les personnels médicaux sur le front des solidarités. Nous sommes prêts à accueillir des jeunes en séjours de vacances, à former des centaines d’animateurs pour recréer du lien social, des éducateurs de rue pour redonner la parole dans les quartiers à l’issue du confinement, favoriser l’expression de tous, accompagner le lourd travail du deuil planétaire auquel nous ferons face, à remplacer la police dans les rues par des médiateurs citoyens. Mais nous avons besoin de moyens humains, financiers, logistiques. Seule une éducation populaire peut nous sortir de l’impasse autoritaire.